La militarisation de la police et du maintien de l’ordre en France
-
Ces dernières années, les forces de l’ordre (FDO) françaises se sont vues confier davantage d’équipements assimilables à des équipements militaires. La prédominance de la notion d’insécurité dans le débat public et les politiques gouvernementales s’est accompagnée d’une militarisation croissante du maintien de l’ordre en France.
-
La militarisation implique nécessairement une hausse de la violence. La diffusion croissante d’armes sur un territoire (local/national/européen) augmente les chances que ces armes soient (mal) utilisées. Fin novembre 2019, du côté des manifestant.e.s et après 1 an de manifestations gilets jaunes, on décomptait : 2 morts, 316 blessures à la tête, 25 éborgnés, 5 mains arrachées et des milliers de blessé.e.s.
-
Les armes qu’on exporte
- <p">La France exporte régulièrement ses armes de maintien de l’ordre en Egypte, au Liban ou à la Côte d’Ivoire (anciens mandats ou colonies françaises) : les grenades lacrymogènes Alsetex 56mm.
-
En 2018, Amnesty International France (AIF) estimait à plus de quatre milliards d’euros le montant des armes françaises livrées à l’armée égyptienne entre 2012 et 2017. AIF a également dénoncé l’utilisation de blindés livrés par la France dans la répression de manifestations en Egypte alors que le bilan de la manifestation du 14 août 2013 atteignait 1000 morts.
- <>Tant sur le marché français, que sur le marché mondial, le grand rendez-vous pour ces marchands d’armes, c’est le salon MILIPOL, qui a lieu tous les deux ans sur le territoire français.
La pratique française
-
Les policiers disposent de tout cet arsenal face à des manifestant.e.s, en majorité pacifiques.
-
Qualifiées par le ministère de l’Intérieur de « non-létales » ou « à létalité réduite », ces armes seraient en réalité plus dangereuses. Le collectif Désarmons-Les rapporte des blessures graves et même des décès liés à des grenades ou au LBD 40.
-
Il est très compliqué de connaître la fréquence d’utilisation de ces armes ou la mesure dans laquelle est utilisé l’usage de la force. Ces chiffres existent au sein de la police mais ils ne sont pas publiés publiquement. Selon ACAT-France, les tirs de LBD n’ont cessé d’augmenter chaque année : +61% en en 2018, +200% pour les munitions et +296% pour les grenades de désencerclement.
-
L’usage plus fréquent de ces armes et l’impossibilité de les utiliser dans des conditions idéales, surtout en contexte de maintien de l’ordre, accentuent leur dangerosité.
-
D’après la Commission nationale de déontologie de la sécurité (2011) et le défenseur des droits (2015), il ne faut plus utiliser le LBD 40, trop dangereux, dans le cadre du maintien de l’ordre.
Risques sanitaires et psychologiques
-
Les risques sanitaires de l’épidémie de covid-19 sont aggravés par l’usage de gaz lacrymogènes d’après l’Omega Research Foundation (ORF). Elle préconise un usage très restreint car ils provoquent des fortes toux, des écoulements nasales, des larmoiements, ce qui augmente les risques de contagion du virus.
-
Pourtant, les FDO françaises ont utilisé des gaz lacrymogènes lors de manifestations le 2 juin 2020 et des « centaines » de grenades le 13 juin 2020. On notera également les risques psychologiques et les conséquences traumatisantes décrites par certain.e.s manifestant.e.s.
La doctrine du maintien de l’ordre
-
L’utilisation de l’équipement des FDO s’opère selon la doctrine du maintien de l’ordre.
-
Stratégiquement, elle s’établit sur les retours d’expériences des territoires d’outre-mer ou de « zones à défendre » (ZAD) ainsi que des banlieues. Historiquement, la pratique du maintien de l’ordre et les violences policières en France sont inséparables du racisme (QCEA, 2020 ; Blanchard, 2020).
-
Cette doctrine est actuellement articulée autour de la stratégie du préfet de Paris, Didier Lallement en poste depuis le 16 mars 2019. La technique de non-confrontation des FDO a été abandonnée afin de favoriser les unités mobiles qui vont au contact des manifestants afin de les interpeller.
-
Certaines de ses brigades, telle que la BRAVM, ne sont pas spécialisées dans le maintien de l’ordre, une situation dénoncée par d’autres corps de la police ou de la gendarmerie.
-
Certaines méthodes utilisées dans ce cadre, comme la nasse, le plaquage ventral ou la clé d’étranglement, sont très controversées, voir même juridiquement floues et ne garantissent aucunement une meilleure protection des individus en plus d’accroître les risques létaux. D’autres méthodes sont possibles et envisageables afin de désescalader les tensions et diminuer la violence.
-
L’institution policière est un socle de la vie démocratique et se doit de protéger les citoyen.nes. La crise démocratique et sociale constatée ces dernières années s’est intensifiée récemment avec la proposition de projet de loi Sécurité Globale en novembre 2020.
-
Cette loi vise, entre autres, à autoriser l’usage de drones par la police, étendre l’autorisation du port d’armes hors services pour les FDO, étendre les pouvoirs de la police municipale et surtout limiter la diffusion de photos ou vidéos où apparaissent des membres de la police.
Alternatives
-
La militarisation de la police et les violences policières sont le résultat de choix et décisions politiques. Il existe différentes stratégies de maintien de l’ordre et les pratiques adoptées dépendent de l’autorité politique. L’objectif doit être de ramener l’ordre en désescaladant les tensions, en sauvegardant la cohésion sociale et en évitant les blessés et les morts à tout prix.
Des solutions sur le court-terme sont possibles :
-
Renverser la tendance à la militarisation de la police en réduisant l’arsenal du maintien de l’ordre et en bannissant certaines armes est une nécessité pour restaurer davantage de confiance entre les citoyen.nes et le gouvernement. Les fonctionnaires de polices utilisent les armes que le ministère de l’Intérieur leur donne. Il est donc essentiel que le ministère interdise les armes les plus dangereuses telles que le LBD 40 ou la grenade GLI F4 (qui devait être interdite en janvier 2020 déjà mais remplacée par la GM2L aux effets similaires) ou même le taser dans le maintien de l’ordre comme le recommande également Benoît Muracciole, président d’ASER.
- <>Il faut réduire l’usage de violence disproportionné et illégitime. Pour cela, il est indispensable de former tous les individus qui seront amenés à pratiquer le maintien de l’ordre. Des formations plus spécifiques devraient être mises en place en s’inspirant des bonnes pratiques présentées dans le monde. La faculté de droit de Georgetown University, aux Etats Unis, par exemple, a mis en place le projet ABLE afin de préparer les agents de police à intervenir pour désescalader les tensions, prévenir les préjudices et à créer une culture de maintien de l’ordre qui permet l'intervention des pairs, des policiers moins directement impliqués dans le conflit en cours entre un.e manifestant.e et un.e policier.e par exemple, afin de réduire les blessés tant du côté des manifestant.e.s que du côté des forces de l’ordre et impulser un changement culturel.
-
Davantage de transparence du ministère de l’Intérieur sur les utilisations des équipements des forces de l’ordre, le nombres de blessés et de morts suite à des interventions policières est nécessaire.
Il faut également mettre en place une institution indépendante pour contrôles les agissements de la police, au contraire de l’actuelle l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) qui fait partie de l’institution policière, la faisant juge et partie (même chose pour l’IGGN) La police doit être responsable devant ses citoyens, leurs représentants et l’Etat, dit le code de conduite du Conseil de l’Europe. -
Limiter les transferts d’armes en respect de l’article 6 du TCA dont la France est signataire. La France ne devrait plus accueillir des salons tels que MILIPOL qui ne respectent pas ses engagements nationaux et internationaux au nom des profits des marchands d’armes.
Sur le long-terme :
-
Dissolution des polices nationales et de l’institution coercitive policière pour instaurer un modèle de maintien de l’ordre du bas vers le haut (‘bottom-up’) et au niveau local. Ces modèles permettent notamment de rediriger les fonds de la police vers le social, l’éducation, la santé.